Pourquoi dit-on « rentrer au bercail » ? Origines et significations de cette expression populaire

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La langue française regorge d’expressions, de métaphores et de locutions qui reflètent la richesse et la diversité de notre patrimoine culturel.

Parmi ces expressions, certaines sont particulièrement intéressantes à étudier, car elles révèlent des aspects surprenants de notre histoire et de notre imaginaire collectif.

L’une d’entre elles, que nous utilisons souvent sans y penser, est l’expression « rentrer au bercail ».

Mais d’où vient cette expression, et quels sont les sens et les usages qui lui sont associés ?

Cet article se propose de répondre à ces questions en explorant les origines historiques, littéraires et culturelles de cette locution familière, ainsi que les valeurs et les représentations qu’elle véhicule dans notre société contemporaine.

Les racines bibliques et pastorales de l’expression « rentrer au bercail »

Pour comprendre les fondements de cette expression, il convient d’abord de s’intéresser à son étymologie et à son contexte d’apparition. Le terme « bercail » vient du latin « bercile », qui désignait un enclos pour les moutons ou les chèvres. Ce mot, qui a évolué au cours des siècles pour devenir « bercail » en français, renvoie donc à l’idée d’un abri ou d’un refuge pour les animaux, et plus particulièrement pour les troupeaux de brebis ou de chèvres.

Dans la culture judéo-chrétienne, le bercail symbolise souvent le lieu de rassemblement et de protection pour les fidèles, sous la conduite du berger qui veille sur eux. Cette représentation trouve ses origines dans la Bible, notamment dans l’Ancien Testament, où le peuple d’Israël est souvent comparé à un troupeau que Dieu guide et protège. Le Psaume 23, par exemple, est célèbre pour ses versets évoquant la relation entre le Seigneur et son peuple : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène près des eaux tranquilles et me fait revivre. »

Cette métaphore pastorale a été reprise et développée dans le Nouveau Testament, avec la figure de Jésus-Christ, souvent présenté comme le « bon berger » qui prend soin de ses brebis. Les Évangiles contiennent de nombreuses paraboles et allégories qui font référence à cette image, comme la parabole de la brebis perdue, où Jésus explique qu’il est prêt à laisser les 99 brebis du troupeau pour retrouver celle qui s’est égarée. L’idée de « rentrer au bercail » s’inscrit donc dans cette tradition biblique, qui associe le bercail à un espace de sécurité et de communion sous l’autorité bienveillante du berger divin.

Le bercail comme espace d’appartenance et de retour aux sources

Au-delà de son ancrage religieux, l’expression « rentrer au bercail » a pris un sens plus large et plus profane au fil du temps. Aujourd’hui, cette locution est souvent utilisée pour désigner le fait de revenir à son point de départ, à ses racines ou à son lieu d’origine. Le bercail évoque alors un espace familier et rassurant, où l’on se sent chez soi, entouré de ceux qui nous sont chers. Dans cette perspective, « rentrer au bercail » peut signifier retrouver sa famille, ses amis, sa communauté ou encore son pays, après une période d’absence, de voyage ou d’exil.

  1. Le bercail comme refuge familial : Dans la littérature et le cinéma, le retour au bercail est souvent représenté comme un moment de retrouvailles et de réconciliation avec les membres de sa famille, qu’il s’agisse des parents, des frères et sœurs, ou des enfants. Ce retour aux sources permet de renouer avec ses origines, de renforcer les liens affectifs et de réparer les blessures du passé.
  2. Le bercail comme lieu d’appartenance sociale : Dans un contexte plus collectif, « rentrer au bercail » peut aussi signifier retrouver sa place au sein d’un groupe, d’une communauté ou d’une société, après avoir vécu une expérience d’isolement, de marginalisation ou de désintégration. Ce retour à l’ordre établi permet de retrouver un sentiment d’appartenance et de reconnaissance, et de se sentir à nouveau intégré et accepté par les autres.
  3. Le bercail comme patrie : Enfin, dans une dimension plus politique et géographique, l’expression « rentrer au bercail » est souvent employée pour décrire le fait de revenir dans son pays d’origine, après avoir vécu à l’étranger, ou encore de rentrer chez soi après une guerre, une mission humanitaire ou une expatriation professionnelle. Dans ce contexte, le bercail symbolise la terre natale, la nation ou la patrie, avec tout ce qu’elle représente en termes d’histoire, de culture et d’identité.

Les connotations ambivalentes de l’expression « rentrer au bercail »

Si l’expression « rentrer au bercail » véhicule généralement des valeurs positives, comme la sécurité, la fidélité, la solidarité et l’appartenance, elle peut aussi revêtir des connotations plus ambivalentes selon les contextes et les usages. En effet, cette locution peut parfois impliquer une forme de renoncement, d’échec ou de soumission, comme si le retour au bercail était le signe d’une incapacité à s’émanciper, à s’affirmer ou à se réaliser pleinement.

  • Le bercail comme refuge contre l’échec : Dans certaines situations, « rentrer au bercail » peut être perçu comme un aveu d’échec ou un repli sur soi, notamment lorsque cette décision est prise suite à des difficultés, des déceptions ou des épreuves personnelles, professionnelles ou amoureuses. Dans ce cas, le bercail apparaît comme un refuge, certes rassurant, mais aussi comme un espace de repli et de résignation, où l’on renonce à poursuivre ses ambitions, ses rêves ou ses projets.
  • Le bercail comme contrainte sociale : Par ailleurs, « rentrer au bercail » peut suggérer une forme de soumission ou de conformisme face aux attentes, aux normes et aux valeurs de son milieu d’origine. Ce retour aux sources peut alors être vécu comme une entrave à la liberté, à la créativité ou à l’autonomie, et comme une manière de se conformer aux injonctions familiales, communautaires ou culturelles, parfois au détriment de ses aspirations individuelles et de son épanouissement personnel.
  • Le bercail comme nostalgie du passé : Enfin, l’expression « rentrer au bercail » peut aussi traduire une certaine nostalgie, voire une idéalisation du passé, avec le risque de se réfugier dans un monde rassurant et familier, mais aussi figé et révolu. Ce retour en arrière peut alors être perçu comme une forme de régression ou de conservatisme, qui empêche de s’adapter, de progresser et d’évoluer vers de nouveaux horizons, de nouvelles rencontres et de nouvelles expériences.

Le bercail dans l’imaginaire littéraire et artistique

L’expression « rentrer au bercail » et ses différentes connotations ont inspiré de nombreux écrivains, poètes, dramaturges et cinéastes au fil des siècles. En effet, le thème du retour aux sources, de la quête d’identité et de la confrontation entre le passé et le présent est un motif récurrent dans la littérature et les arts, qui permet d’aborder des problématiques universelles et intemporelles, telles que l’amour, la famille, la mémoire, l’exil, la solitude, la culpabilité ou la rédemption.

Certaines œuvres mettent en scène des personnages qui retournent au bercail pour affronter leurs démons, assumer leurs responsabilités ou se réconcilier avec leur histoire, comme dans les romans « La Maison du retour » de Jean-Philippe Blondel, « Retour au pays » de Julian Barnes, ou encore « Le Retour » d’Andréï Makine. D’autres auteurs, tels que Marcel Proust dans « À la recherche du temps perdu » ou Albert Camus dans « Le Premier Homme », explorent la notion de bercail à travers la mémoire, le souvenir et la nostalgie, en interrogeant les liens qui unissent l’individu à son passé, à sa famille et à son environnement.

De même, au cinéma, le retour au bercail est souvent l’occasion de revisiter des thématiques fortes et évocatrices, comme l’identité, l’appartenance, le deuil, la transmission ou la résilience. On peut citer, par exemple, des films tels que « Le Retour » d’Andrei Zviaguintsev, « Le Fils » de Jean-Pierre et Luc Dardenne, « Le Goût des autres » d’Agnès Jaoui ou encore « Le Retour de Martin Guerre » de Daniel Vigne, qui abordent sous des angles différents la question du bercail et de ses enjeux symboliques, psychologiques et sociaux.

En somme, l’expression « rentrer au bercail » est loin d’être anodine, car elle révèle des dimensions complexes et variées de notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes. Qu’il s’agisse de l’imaginaire biblique et pastoral, des valeurs d’appartenance et de retour aux sources, des connotations ambivalentes de renoncement et de soumission, ou des représentations littéraires et artistiques, cette locution nous invite à réfléchir sur nos origines, nos choix, nos aspirations et notre manière d’être au monde. En ce sens, « rentrer au bercail » est bien plus qu’une simple expression populaire : c’est une invitation à explorer les méandres de notre humanité, avec ses ombres, ses lumières et ses mystères.

L’expression « rentrer au bercail » est le reflet d’une réalité complexe et multiple, qui touche à la fois notre histoire, notre culture, notre psychologie et notre imaginaire. Cette locution nous rappelle l’importance des liens qui nous unissent à notre passé, à notre famille, à notre communauté et à notre environnement, tout en soulignant les défis, les dilemmes et les enjeux que représente le retour aux sources. Qu’elle soit vécue comme un refuge, une contrainte, une nostalgie ou une opportunité, cette expression témoigne de notre besoin fondamental de nous ancrer, de nous situer et de nous définir dans un monde en perpétuelle évolution. Et c’est peut-être là, finalement, que réside la véritable richesse de cette expression : dans sa capacité à nous interroger, à nous émouvoir et à nous rassembler autour de questions universelles et essentielles, qui traversent les époques, les frontières et les cœurs.

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